Le commerce des classiques by Claude Roy

Le commerce des classiques by Claude Roy

Auteur:Claude Roy [Roy, Claude]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
ISBN: 9782072150890
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 1953-03-11T00:00:00+00:00


MARAT

Abusés par les mots, les hommes n’ont pas horreur des choses les plus infâmes, décorées de beaux noms, et ils ont horreur des choses les plus louables, décriées de noms odieux. Ainsi parle Marat, dans un remarquable chapitre de son livre Les Chaînes de l’esclavage, où il analyse une technique de littérature et de politique qui est d’un usage courant aujourd’hui, mais qui ne date pas d’hier : Jamais aux choses leurs vrais noms… Les princes, leurs ministres, leurs agents… appellent… politique l’art honteux de tromper les hommes ;… soumission, la servitude ; loyauté, la prostitution aux ordres arbitraires ; rébellion, la fidélité aux lois ;… mesures de sûreté, les recherches inquisitoriales. Ce texte si beau définit Marat tout entier, dont la leçon est utile aussi bien dans l’art d’écrire que dans l’art de la politique. C’est la leçon d’un homme qui a vécu pour appeler les choses par leurs vrais noms — et qui est mort d’avoir été appelé de noms mensongers.

La contre-révolution a fait de Marat le grand croquemitaine, le vilain, le traître de mélodrame de la Révolution. Dans une nouvelle peu connue de Balzac, Les deux Rêves, celui-ci a résumé la légende très fabriquée de Marat, en mettant en scène, aux alentours de 1786, un chirurgien des pages, égaré dans un salon de l’aristocratie — c’est Marat : J’éprouvai, dit le narrateur en le rencontrant, un sentiment instinctif d’horreur. Son teint terreux, ses traits à la fois ignobles et grands, offraient une expression exacte de ce que l’on me permettra de nommer ici la canaille. La canaille ? Marat n’avait pas attendu sa mort pour entendre le mot de Balzac — et le relever. La Révolution n’a été faite et soutenue que par les dernières classes de la société, écrivait-il dans L’Ami du Peuple, en 1792,… par ces infortunés que la richesse impudente appelle la canaille, et que l’insolence romaine appelait des prolétaires. Marat est, en effet, le penseur de ce que Rivarol et Balzac nomment la canaille, et la plus exemplaire victime de cet art qu’a la richesse impudente de ne jamais appeler les choses par leur nom, ni la vérité, ni ceux qui pour elle se battent.

Il est un texte de Marat qui émeut fortement. Traqué, insulté, abreuvé d’insultes et de boue pendant des mois, changeant chaque jour de retraite, pauvre comme Job, Marat, en 1793, réapparaît au grand jour du combat. Il siège à la Convention. C’est alors qu’il publie dans son Journal de la République française une défense que Lucien Scheler a republiée. Il y répond une fois pour toutes à ceux qui le représentent comme un cerveau brûlé, un rêveur, un fou ou comme un anthropophage, un tigre altéré de sang, un monstre qui ne respire que le carnage. Marat n’a pas eu souvent l’occasion, dans sa vie brûlante et sans haltes, de faire un retour sur soi, d’établir son propre bilan, de se recueillir pour mieux se définir, et de répondre aux coups de l’adversaire autrement qu’en dénonçant ses manœuvres et sa duplicité.



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